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Original Message -----
From: <cathbleue@wanadoo.fr>
To: <picabiette@wanadoo.fr>
Sent: Thursday, February 27, 2003 5:56 PM
Subject: des retoucheurs de paysage
Merci pour les photos de Komsomolsk. Mais es-tu sûre que des retoucheurs
de paysage photo n'ont pas frappé ?
Un article
du Monde de hier m'a mis la puce à l'oreille en parlant de ces
photos qui falsifient l'histoire. [Tu peux le lire , il est plus
bas dans ce mail.] Hé bien ! cela a tout de suite fait tilt. J'ai
re-regardé les photos de Komsomolsk que tu m'as envoyées
hier et j'ai vu que la tradition se perpétue mais cette fois, les
photos falsifient les paysages.
On voit
bien que la photo vue d'été de Komsomolsk ne correspond
pas à la réalité. Il manque le sapin.
Le
faux paysage. Il manque vraiment le sapin
Si tu ne
me crois pas regarde, on reconnaît bien l'original (que j'ai avec
beaucoup
de mal trouvé sur Internet).
La version Komsomolsk (vue d'été) avec le sapin est bien
plus véridique.
Le vrai paysage
C'est dingue
comme l'histoire a tendance à se répéter, voire à
se poursuivre.
Enfin, cela fait du bien d'arriver parfois à rétablir la
réalité.
Bises.
Cath
LE MONDE
| 25.02.03 | 17h51
Quand les retoucheurs de photos rectifient l'histoire
Staline a
construit son image en traquant ses ennemis jusque dans le secret des
chambres noires.
Les "kremlinologues" avertis avaient pour habitude de scruter
attentivement les photographies officielles des cérémonies
du 1er Mai ou de l'anniversaire de la révolution d'Octobre. Ils
constataient ainsi la disparition de tel ou tel dirigeant ou sa relégation
à un rang inférieur sur la tribune. L'examen des magazines
illustrés, des biographies de Staline ou des différentes
versions de l'histoire du parti donnait aussi des indications iconographiques
souvent pertinentes.
Aujourd'hui,
les photos peuvent sortir de Russie et l'exercice n'en est que plus fascinant.
Les archives des photographes ont permis de retrouver les documents originaux
et de reconstituer les étapes des falsifications.
Les manipulations
photographiques durant le règne stalinien ont fait l'objet de longs
développements dans le livre d'Alain Jaubert, Le Commissariat aux
archives (éd. Bernard Barrault, 1986), consacré aux "photos
qui falsifient l'histoire", de Hitler à Mussolini en passant
par Mao. Depuis que l'on fait des photos, on les retouche et on n'a pas
attendu les régimes totalitaires pour éliminer un personnage
gênant ou améliorer un profil.
Mais les
dictatures ont chacune produit un style propre : emphatique et ridicule
dans l'Italie fasciste, raide et inquiétant pour l'Allemagne nazie.
En Union
soviétique, la première tâche des censeurs a été
de reconstruire l'image de Staline. "L'homme à la tête
de savant, à la figure d'ouvrier et à l'habit de simple
soldat", comme le qualifiait Henri Barbusse dans l'hagiographie de
"l'homme de fer", publiée en 1936, avait un problème
: son action dans la révolution russe était bien trop modeste.
Il fallait donc lui donner un premier rôle, celui de premier compagnon
de Lénine.
Second problème
des censeurs, à partir de la fin des années 1920 commence
une course-poursuite entre les éliminations politiques et les retoucheurs.
Au fur et à mesure des éliminations, il faut rectifier les
photos, faire disparaître Trotski et ses partisans, puis Boukharine,
Zinoviev, etc.
L'examen
de la brochure intitulée L'Homme que nous aimons le plus publiée
par le PCF en 1949 pour le 70e anniversaire du camarade Staline offre
une panoplie assez complète des falsifications à la soviétique.
Elle contient de nombreuses photographies du "Petit Père des
peuples", en général seul. Sur sept photos, il est
présent aux côtés de Lénine, l'accueillant
à son retour d'exil ou organisant avec lui la révolution
de 1917. Elles sont toutes tronquées, de manière plus ou
moins habile, pour montrer un Staline montrant la voie.
Une des photos
les plus connues montre Lénine malade à Gorki, en 1922.
Il est allongé sur une chaise longue et Staline le surplombe, légèrement
en retrait. Cette image sera reproduite à l'infini. Les retoucheurs
vont d'abord les rapprocher puis les mettre au même niveau. Des
copies en tableau, dessin ou sculpture seront aussi produites et, là,
Staline sera carrément debout, dominant totalement le frêle
leader bolchevique.
Sur un autre
cliché, Staline côtoie Lénine et Kalinine en mars
1919, au 8e congrès du Parti communiste ; c'est une des rares photos
où ils sont si proches, elle est donc importante. Cette image a
été beaucoup utilisée, cadrée sur les trois
personnages, ou sans Kalinine, ou sans Lénine. En fait sur la photo
originale, il y a 20 personnes. Sur les 20, 11 ont été fusillées
et 3 se sont suicidées.
Seize ans
plus tard, en 1934, se tient le 17e congrès. La photo qui célèbre
l'événement montre 7 délégués, elle
est à peine rectifiée. Il ne manque qu'une personne, Abel
Yenukidze, mais la brochure ne dit pas que, sur les 1 961 délégués
présents, 1 108 vont être liquidés dans les années
suivantes. On imagine le mal qu'avaient les virtuoses des ciseaux et du
pinceau à suivre le rythme des policiers du NKVD.
Dans son
livre The Commissar Vanishes ("Les commissaires disparaissent",
Canongate Books, Londres, 1997), David King cite l'exemple comique de
retoucheurs qui vont jusqu'à affubler d'une barbe un personnage
car ils ne sont pas certains qu'il faut l'éliminer mais ils préfèrent
le rendre méconnaissable. Il montre aussi les pages d'un album
réalisé par Rodchenko intitulé 10 ans d'Ouzbékistan.
Dans l'exemplaire
du photographe, conservé par sa famille, les visages des dirigeants
liquidés ont été noircis. Même dans le secret
des bibliothèques, il n'était pas prudent de garder l'image
des proscrits.
Michel Lefebvre
ARTICLE PARU
DANS L'EDITION DU 26.02.03
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