Ne reculons devant rien... Une berceuse version "Hellfest". Pour Micha.
Кипелов - Колыбельная России
Kipelov - Berceuse de Russie
Ekaterinbourg-Nijninovgorod, ou : Sverdlovsk-Gorki pour les chemins de fer. Micha, lui, vient de Barnaoul (grand sud), dans l’Altaï, et se rend à Siktivkar, dans la république des Komis (grand nord.) Donc, il change de train à Ekaterinbourg, il descendra à Kirov, et de Kirov aura huit heures d’autocar pour Siktivkar. Après, un peu de voiture. Bon courage ! Micha n’en manque pas.
En quelques minutes, la table s’est couverte de tranches de jambons, sandwichs, rondelles de saucisson, lard, cornichons, pirojki, fruits, bonbons, chocolat...
C’est où, Siktivkar, Micha ? Étonnement. Ne pas connaître la capitale de la république des Komis ! La plus grande république du monde ! Je sors ma carte, il est comme un enfant devant une auto de pompier (depuis le début, il me semble que ma carte étonne).
Micha se frappe les cuisses : "Quand je dirai à ma femme que j’ai voyagé avec une Française, elle ne me croira pas !".
Micha était à Barnaoul, il rendait visite à son frère. C’est aussi à Barnaoul qu’est enterrée sa mère. Son père, lui, est enterré à Vorkouta. Tous les ans, il va et à Vorkouta, et à Barnaoul. Micha était mineur. Son père, fait prisonnier par les Allemands, s’est retrouvé mineur à Vorkouta (goulag et charbon), et y est resté. A eu cinq enfants, dont Micha. À peine quelques jours avant de rentrer à Barnaoul rejoindre sa femme, le père meurt. Micha reste au nord de Vorkouta jusqu’à sa retraite, à 45 ans : "mineur, c’est un boulot dur, il y en a tellement qui partent avant l’heure, moi j’ai survécu".
Après quoi, il s’installe à proximité de Siktivkar. Il fait un temps "des affaires" entre le Kazakhstan et la Russie, mais comme mineur, sa retraite est correcte, il peut abandonner le business. Il a ses cultures : tout pousse, pommes de terre, champignons, baies. Même les pastèques, dit-il. Micha fait ses conserves pour l’hiver. À ma question de savoir si sa maison est loin de la forêt, il s’écroule de rire : mais elle est dans, dans la forêt !
Vous avez de la colère, Micha, pour votre père ? Colère, colère... Qu’est-ce qu’on peut, nous ? Il n’est pas mort à la guerre, mais c’est tout comme. Qui les a comptés, les morts, qui ? Qui les comptera ? Combien de doigts de combien de mains faudrait-il ? Micha me montre sa main : il manque un doigt. Tant de millions, qui peut compter tant de millions ? Dire comment et pourquoi ?
La vendeuse passe dans le couloir avec son charriot, Micha prend une bière. 75 roubles ! 75 roubles ! Mais c’est 25 roubles, n’importe où, une bière. Et il fait quoi, ce Medvedev ? A peine élu, les bières passent à 75 roubles ? Qui s’en met plein les poches, au passage ?
Découragé par le coût de la vie, Micha sort, l’air gourmand, son arme ultime, une fiasque en métal : t’as jamais bu de ça. - ? - Tu connais le cognac, hé bien c’est meilleur que le cognac, c’est du cognac de baies ; mais attention, c’est fort, très fort, 80 degrés. La couleur est celle du cognac.
Il l’appelle "samagon" (le feu soi-même ?). Costaud, le samagon ! Je refuse poliment une seconde tournée - étant femme, ce refus m’est permis.
Après deux bières et quelques rasades de samagon, Micha s’endort comme un bébé. Quand je me réveillerai, il sera parti.
J’aimerais beaucoup me rendre à Siktivkar.