Un jour, à Turin, mon fils, petit alors, s’arrête - sidéré : "Maman, regarde, les trottoirs à Turin, ils ne sont pas comme à Paris, surtout les bordures".
Le touriste cultivé ne s’arrêtera sans doute pas à l’observation de pareilles vétilles. A Vladivostok, il comprendra dans la douleur quels sont ses torts : il se cassera la figure en glissant sur une plaque de glace, en se prenant le bout du pied dans un nid de poule.
Dans ce grand mouvement qu’est la mondialisation, le citoyen du monde se raccrochera pourtant à ces signes universels interprétés par la culture locale : lampadaires, grilles, pendules, feux de circulation, vasques, poubelles publiques, enseignes, calicots.
Les meubles de la ville : élégante pendule de la compagnie des chemins de fer, vasque de ciment en attente des fleurs du printemps, poisson carrelé signalant la frontière ville/plage.
Les feux de circulation méritent une attention particulière. A Vladi, aux carrefours délicats, on a la loyauté de décompter le temps du piéton. S’il reste deux secondes pour traverser, mieux vaut renoncer.
Un "24" sous une enseigne ne dit pas forcément que vous vous trouvez au n° 24 de la rue, mais que le magasin est ouvert 24h sur 24 (ici, un fleuriste).
Statues et mobilier urbain. Est-il hérétique de mélanger les deux ? Quel est ce sentiment que les statues de Lénine, partout en Russie, font partie des meubles ? De ces meubles reçus en héritage. Avec leur petit fumet déjà vieillot.
Nous, nous nous réjouissons quand tombent les statues qui ne sont pas les nôtres, qui ne sont pas de notre histoire. Lénine, Staline, Saddam... Ah ah ! Nous sommes de généreux dispensateurs de liberté.
Ne trouverions-nous pas, à Paris, des traces de notre histoire que nulle main libératrice n’aura effacées ? Porte Dorée, une statue représentant "La France apportant la paix et la prospérité aux colonies". Jardin tropical du bois de Vincennes. Au bout d’une de ces mornes avenues du 7e arrondissement, un globe terrestre porté par quatre femmes représentant notre empire colonial.
Raisonnement des Russes : c’est notre histoire, on n’efface pas l’histoire. On ne la liquide pas, comme dit l’autre. Alors, on garde Lénine, on conserve les héros et les allégories du siècle passé - qui est cet homme à la tortue ? - on en ajoute de nouveaux, quitte à les ressusciter : Pouchkine fait l’objet d’une vénération unanime, sur plus de 9000 km.