Munie de mes baies, je pique à gauche entre des immeubles de bonne hauteur, jusqu’à la place Lénine, grande comme un terrain d’aviation. On a de l’espace, dans ce pays ! Nous, nous aurions déjà construit là un quartier entier après avoir dégommé Lénine.
Et soudain, ce ciel immense, au-dessus de la ville, cette rue en perspective plongeant vers la lumière... Rue Mouraviova, Mouraviova-Amourskovo, la grande rue de Khabarovsk. Cette élégance... Mouraviov-Amourski, le comte, gouverneur de Sibérie orientale, figure sur les billets de 5000 roubles. C’est le premier à avoir donné l’Amour en frontière à la Russie et à la Chine.
Prenons-nous par le bras, le silence est léger. Je porterais une longue pelisse de zibeline, avec une grande toque de loup angora. Ça n’existe pas, le loup angora ? Khabarovsk m’a tout l’air de l’avoir inventé. Et moi j’ai l’air de quoi, avec mes caoutchoucs blancs pointure 40 ?
Bâtiments de hauteur modeste. Au plus près de la place Lénine, fonctionnalisme et modernité du cinéma "Géant" et du siège de "Russie unie". Plus on s’approche de la lumière, plus l’architecture s’ancre dans le passé : la ville s’est construite autour du fleuve, grand centre de commerce des fourrures. On y lit une ancienne prospérité. Ancienne ? Prospérité, le retour ? Tout est pimpant, d’un goût exquis, presque orgueilleux. D’une propreté à faire rougir Paris : pas un papier, pas un mégot au sol.
Couleurs pastels très étudiées : il y a là une science raffinée de la couleur, de la lumière, un jeu avec les saisons - moi qui n’en vois que l’hiver finissant. Couleurs tendres côté droit de la rue, le plus ensoleillé, couleurs fortes et contrastées côté gauche.
Mais voilà, je n’ai pas de pelisse de zibeline, et à vue de nez il fait dans les -12°, température clémente, mais fatigante. Sustentons-nous. L’Argo sera très bien. Pas un chat. Purée, poisson, café au lait. Oui, ça vous dit ? Moi, oui.
Repartons vers la lumière.