Pourquoi s’en tenir à Paris ? Aller au bout, c’est aller au bout de l’Europe, celle qui commence à Ekaterinbourg, celle de Minsk, celle de Terespol. Dernière ville : Brest, tout à l’ouest, qui ressemble à Vladi : port de guerre, terminus d’un train. La Penfeld en Corne d’or, la peinture grise des bateaux, le vent sur tout ce bon dieu de monde. Les oiseaux. L’horizon. Deux villes se font écho.
Si l’on débarque un matin, au petit jour, dans la gare de Brest on constate que c’est bien une gare de fin de terre européenne, une gare d’extrémité un peu mortifiée, une gare qui donne accès à toutes les choses qui n’ont plus rien à voir avec la terre, ses routes conquises par les automobiles et ses voies ferrées qui laissent des traces brillantes dans la nuit. L’Europe, de l’est à l’ouest, aboutit à cette gare discrète, calme, créée pour un seul train, un convoi peu peuplé, mais toujours habité par des figures attachantes. On ne vient pas à Brest pour jouir de la vie, montrer l’élégance d’une robe ou refaire du sang, au soleil. Des raisons, que la mer n’ignore pas, conduisent hommes et femmes vers cette ville sans paquebots, sans départs. C’est ici que l’aventure se mêle au vent de la mer. Mais ce qui donne un charme incomparable et délicat à la ville, c’est qu’elle ne tourmente que l’imagination des hommes et qu’elle s’insinue perfidement, d’histoires en histoires, de souvenirs en souvenirs, de chansons en chansons.[...]Et, selon la qualité du silence sur l’eau et la terre, Paris me semble si lointain, si vague et si mystérieux, quand je suis à Brest, je sens le sang me monter aux joues. Je me hâte en ce cas de boucler mes valises et de reprendre le train.Pierre Mac Orlan, Brest, 1926
J’étais partie d’une ville qui ne connaissait que des départs, pour arriver à une ville qui ne les connaît point ?
La ville existe et elle n’a aucun secret. elle ne connaît que des départs, elle ne connaît pas de retours.Parole de Italo Clavino, dans "Les villes invisibles"
Pas repris le train, mais mon automobile. Pour aller un peu plus loin. Un peu.